Le cycle de l’eau : les Biefs

 

Qu’est-ce qu’un « Bief »?

Un bief (prononcé [bié]), est un canal d’irrigation. Creusé dans la terre et le roc, il sert à acheminer et à distribuer l’eau du haut de la montagne dans les vallées, sur les différentes surfaces cultivées (prés, champs, vergers, jardins, etc.).Ce canal à pente faible utilise la gravité pour acheminer l’eau en un lieu précis, dans notre cas : les Hameaux de La Côte d’Aime, de Valezan et des Chapelles.

Particularités Géographiques

La Haute Tarentaise est une zone sèche en comparaison des pays environnants (Avant-pays savoyard et Beaufortain). A cela s’ajoute l’orientation du versant droit du bassin d’Aime qui offre une exposition maximum au soleil, que ce soit en hiver ou en été, d’où son nom de « Versant du Soleil ».

 

La question de l’eau et de son acheminement sur ce versant a toujours été centrale et ce dès l’installation permanente des populations sur les quartiers du « Versant du Soleil ».  Marius Hudry, « Le monde alpin et rhodanien », 1985.

L’approvisionnement hydraulique

A La Côte d’Aime, l’Ormente, qui prend sa source au lac de Presset (2514m d’alt.), bénéficie d’un débit abondant en toutes saisons contrairement aux autres ruisseaux des communes de La Côte d’Aime, de Valezan et des Chapelles.

L’ormente au niveau de Foran

Les Biefs sur La Côte d’Aime

Afin de résoudre la question de l’approvisionnement en eau des villages, les communiers (ou dirigeants) décident de dévier une partie du débit de l’Ormente par un système de canaux appelés « biefs » depuis la hauteur de Foran.

« Les Biefs d’amenée »

Depuis la hauteur de Foran, 3 biefs alimentent les ruisseaux au débit aléatoire. Ces biefs dits « d’amenée », littéralement « qui amène l’eau », alimentent tout un réseau secondaire de canaux dits « de répartition » qui distribuent l’eau auprès de chaque parcelle.

Ces canaux ont deux régimes dans l’année :

De septembre à juin, avec un petit débit juste nécessaire pour satisfaire les besoins domestiques ordinaires.En été, les biefs sont « chargés » à leur contenance maximale afin de disposer de beaucoup d’eau pour l’irrigation.

« 3 Biefs d’amenée » des versants du Soleil

Bief des Chapelles : Branché à 1630m d’altitude, long de 7.5 km avec 27mm/mètre de dénivelé, il aboutit au Nant du Griotteray. Ce canal franchissait deux difficultés notoires, le Nant Combafort qui l’ensablait souvent puis les terrains marécageux et instables du lieu-dit le Rocher.

Bief chargé en régime d’été

Bief de Valezan : Situé 400m en aval et à 1610m d’altitude, long de 4.5 km, il arrive au Nant des Moulins et sa pente avoisine les 38 mm/mètre.

Bief de La Côte d’Aime : Situé 600m plus bas et à 1560m d’altitude, il n’ est long que de 2km. Il aboutit au ruisseau ou nant de Pierrolaz à la hauteur du lieu-dit « Lécher » avec une pente moyenne de 55 mm/mètre.

« Le Bief Mort »

Bief « mort » ou de Bourg : Bien plus haut, à mi-pente, les vestiges de ce canal abandonné sont visibles. Il prenait l’eau au pied de la « cascade » de la Balme, pour ravitailler le quartier de Vulmix, commune de Bourg Saint Maurice. Ce canal nécessitait un tel entretien avec un débit si aléatoire, qu’il fut finalement abandonné d’où son nom.

Quels étaient les problèmes liés à ce canal ?

sa longueur : une dizaine de km.
la faiblesse de sa  pente.

Son tracé traversant plusieurs « goails »* situés sous le Roignais.

Les goaïls* sont des ruisseaux intermittents, la plupart descendent tout droit du Roignais. Ils sont souvent à sec, mais sujets, en cas d’orage, à des crues brutales chargées d’alluvions qui vont boucher l’ouvrage.

« Les Biefs de répartition » à La Côte d’Aime

Les canaux de répartition, alimentés par les biefs d’amenée, serpentent à travers les prés et les jardins, alimentent les villages et les roues à aubes des moulins à blé, à chanvre (pour la fabrication des cordages et des tissus grossiers), à chaux et les scieries…

Ces canaux et ces ruisseaux forment l’ossature complète et complexe d’un système d’irrigation performant sous forme de petits canaux, d’aqueducs et de rigoles. Aucune surface n’est oubliée!

On notera que le ruisseau de Pierrolaz est le seul à se jeter dans l’Ormente, tous les autres terminent leur course à l’Isère.  

A savoir : les biefs sont aussi un moyen d’approvisionner les pompes à bras des pompiers lors de la lutte contre les incendies qui se propagent très vite du fait de la concentration de l’habitat et des granges (greniers) remplis de fourrage pour l’hiver.

Les « Biefs d’alpage »

Un canal, à ce jour désaffecté, partait du Nant Signolan, (né au lac de Portette), au niveau du pont de Chézeries, traversait la Grande Forêt pour alimenter les montagnettes d’Entre deux Nants.

Au Mont Rosset on compte deux biefs :

L’un de 2 km environ, dont on devine le tracé par endroits, prenait l’eau à la sortie du lac de Portette, dit le Grand Lac, traversait la montagne sous la Roche St Laurent, se dirigeait vers le col du Mont Rosset, pour aboutir à Plan Magnin d’en haut.

L’autre, plus en aval et dont il ne reste plus de vestiges dans les pentes abruptes de la montagne des veaux, devait également permettre de « noyer »* les alpages du secteur avec le stock de fumier produit au chalet des veaux.                        

Plus en aval, captant le nant Signolan, un autre bief, plus court, alimentait à la fois la « gouille des vaches », un abreuvoir créé par un barrage fait de pierres et mottes de terre, et le chalet. Ce bief était également utilisé pour « noyer »* les pâturages avec le fumier des halles. Depuis 1951 une canalisation enterrée remplace ces ouvrages.

Zone de la « pachonnée »

*«Noyer» est une opération qui consiste à délayer du fumier dans l’eau courante d’une rigole irrigation pour fertiliser les sols pentus.

À la Balme, le bief de « la Bourna-ki-sonhè » (le Trou qui sonne) branché sur l’Ormente au bas du vallon de Presset, permettait de « noyer » les pentes sous Gargan en utilisant le fumier d’une pachonnée* laissée en place une semaine ou plus pour avoir un stock de fumier important à épandre.

Alpage de la Balme

* La « pachonnée » désigne la zone où les vaches sont attachées dans l’alpage pour la traite manuelle. Chaque vache est tenue en place à son piquet ou « pachon » par une chaîne.

Circuits d’irrigation de La Côte d’Aime

Les « Biefs » : source de vie

Les populations vivent en quasi-autarcie, c’est-à-dire qu’elles produisent et fabriquent tout ce dont elles ont besoin pour survivre : habitat, alimentation, meubles, outils etc…L’argent sous forme de monnaie est rare, il est issu de la vente occasionnelle de lait, de fromage ou de bêtes. Il provient également des salaires perçus par les jeunes villageois qui ont émigré en ville durant l’hiver, pour travailler comme ramoneurs ou gratteurs de parquet.

 

Afin d’optimiser l’espace à cultiver, l’habitat est concentré et l’alimentation en eau des terres est primordiale. Le jardin subvient aux besoins de la famille et les prés à foin nourrissent les bêtes pendant l’hiver.

Entretien des « Biefs »

L’entretien des biefs est assuré par un système de « corvée », véritable démonstration de la solidarité qui lie les communautés montagnardes. Par exemple : Le bief de Valezan alimente autant Valezan que le hameau de Montméry sur La Côte d’Aime. Régulièrement, les villageois des deux communautés travaillent ensemble sur l’entretien du canal.

Sape, pioche à deux lames utilisée pour creuser et entretenir les rigoles

Pour calculer le temps de corvée, on se base sur le cheptel possédé :

1 vache = 1 journée de corvée annuelle pour les biens communs (chemins, routes, bâtiments ou bief)

Les génisses = ½ journée par an.

Les « Biefs » contemporains

Depuis1989, une canalisation enfouie, branchée sur la prise d’eau EDF de Foran et sur le Nant des Moulins, au lieu-dit « Les Ravines » remplace  la partie amont de ces trois grands biefs :

​- de Foran aux Chavonnes pour les biefs de La Côte et de Valezan.

​- de Foran au Nant des Moulins pour celui des Chapelles.

Ces deux cours d’eau se relaient pour assurer le débit dans les biefs. Elle a ramené la longueur des biefs, de 7 km 500 à 3 km 600 pour celui des Chapelles, de 4,5 km à 2km pour celui de Valezan et de 2 km à 1 km pour celui de la Côte d’Aime.

Cette canalisation enfouie peut fonctionner dans les deux sens en fonction du débit du Nant des Moulins, selon le principe des vases communicants. Des vannes disposées aux extrémités du conduit et aux sorties vers les biefs permettent de réguler les débits dans les canaux en fonction de la saison, des besoins et des possibilités d’approvisionnement. Elle a permis de ne plus traverser les zones difficiles à entretenir comme le croisement du Nant Combafort, les rochers de Bon Pas ou les terrains instables du Rocher.

Crédits Photos et documentation: 

Annie et Gérard Carrier, Delphine Counil, Guy Plassiard, Marie Louise Plassiard, Robert Plassiard, CREALP’, S.I. La Côte d’Aime.